lundi 27 octobre 2008

SWANN IN LOVE

Revu le film de Schlondorff "Un amour de Swann" que j'avais découvert il y a vingt ans sans avoir lu la "miniature géante" qu'est ce récit digressif incrusté dans La recherche. Evidemment la connaissance de l'oeuvre permet de savourer le film dans ses moindres détails et de voir comment les brillants scénaristes Jean-Claude Carrière et Peter Brook ont cherché non seulement à transcrire cette narration de l' amour malheureux d'un dandy pour une cocotte mais aussi à donner à l'ensemble une dimension véritablement proustienne en enrichissant l'épisode Swann/Odette de subtiles références au reste de l'oeuvre et à la propre existence de Proust. Ainsi Swann qui nous est montré tout au début dans son lit en train d'écrire devient-il dans le film, un double parfait du narrateur-auteur, éternel alité occupé à son manuscrit et méditant sur ses peines de coeur. Le parcours de Swann, snob et paria, qui pourrait être le père spirituel du narrateur, préfigure les amours douloureuses pour Gilberte ou Albertine, que le désir d'exclusivité et la jalousie consécutive rendront impossibles. Jérémy Irons est absolument crédible dans ce rôle avec son élégance anglaise et ses émotions rentrées qui soudain explosent dans ces scènes d'hystérie. Ornella Muti resplendissante en Odette apporte sa présence charnelle hypnotique et un faux air d'ingénue qui convient à la duplicité de la demi-mondaine. De plus elle a vraiment ce charme renaissance de la Zéphora de Botticelli qui a permis à Swann de cristalliser sa passion sur une femme "qui n'était même pas son genre".

En Oriane, Fanny Ardant fascine comme toujours, bien que le personnage eût dû posséder la blondeur et le profil aquilin des Guermantes. Mais sa classe féline et aristocratique et son magnétisme irrésistible lui permettent d'incarner une impeccable duchesse. La scène où Swann lui annonce sa mort prochaine est absolument réussie (bien qu'elle figure je crois dans "Du côté de Guermantes"). Ardant dans sa robe rouge sang y fait preuve de toute la morgue et la cruauté que dégageait cet oiseau de proie.



Mais c'est Alain Delon que l'on attendait en Baron de Charlus, l'inverti chic et arrogant. Une fois passée la bonne surprise d'un Delon poudré et emmoustaché qui évite à peine l'écueil de la folle snob, on est contraint de constater que les talents d'acteur du bel Alain ne lui permettent pas de comprendre son personnage éminent subtil, ni son jeu d'échapper à des tics faciles. Curieux car Delon dans sa jeunesse a dû bien fréquenter ce modèle de séducteur élitiste et raffiné, mais il n'est pas parvenu à s'en souvenir pour traduire toutes les nuances d'une pareille figure mondaine, ni à en suggérer la profondeur cachée sous le scintillement des effets de style.



La grande réusite du film demeure enfin dans la mise en scène des atmosphères Belle Epoque: salon Guermantes, Hôtel Le Ritz, jardin des tuileries, intérieurs somptueux ou rococo, tous nimbés d'une lumière soyeuse et nostalgique qui n'est pas sans évoquer le propre style de Proust, autant soucieux d'un art du détail que d'une harmonie et fluidité générales. L'oeuvre cinématographique relève le défi de traduire un récit où l'analyse psychologique est dominante et réussit à restituer l'esprit de l'auteur, auquel l'hommage rendu pâtit parfois d'un excés d'esthétisme au détriment de l'ironie. Mais il faut reconnaître à la fin que c'est vraiment un amour de film et que l'on prend un bain proustien avec autant de plaisir qu'une madeleine en aurait à se tremper dans une infusion au tilleul.

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