vendredi 5 février 2010

LE LIVRE D'IMAGES D'ALBERTO MANGUEL

"Il n'y a que l'invisible qui nous émeuve."
Théodore Jouffroy, Cours d'esthétique


Chaque année amène son nouveau livre d'Alberto Manguel, érudit passionnant qui après s'être penché profondément sur la lecture, les bibliothèques et mille autres thèmes, nous invite à réfléchir sur les images et ce qu'elles donnent à lire. Je dévore avec le décalage temporel de mes voyages en France "Le livre d'images" sorti en septembre 2009

Comment les images racontent, signifient, reflètent-elles des récits ou ficciones comme dirait ce disciple de Borges? Comme toujours Manguel avance non tant comme un spécialiste d'esthétique ou sémiotique mais plutôt en narrateur savant et vagabond qui fragmente sa réflexion et multiplie ses approches autour d'un sujet précis. Ses réferences encyclopédiques et interculturelles époustouflantes se joignent à des anecdotes autobiographiques et à de fortes méditations sur l'art, l'histoire et la vie. Comme toujours c'est une écriture à la fois brillante et simple, de haut niveau théorique mais bien illustrée d'exemples concrets et plus spécialement iconographiques cette fois-ci, le sujet l'imposant.

Je livre ici au hasard et au bonheur de la lecture des extraits des phrases de Manguel ainsi que des images des artistes autour desquels s'articulent les chapitres.

TINA MODOTTI ou l'image-témoin


"En choisissant de faire le portrait détaillé avec amour de cette paire de vieux pieds lassés du monde, Modotti replaçait ( consciemment ou non) son paysan mexicain dans une longue tradition de vaincus et de conquérants voués à la terre, les uns illustres et la plupart ( tel ce paysan) anonyme, tous profondémént humains dans leur attachement à la poussière à laquelle, nous dit-on, nous devons retourner."


L'ALEIJADINHO ou l'image subversion
Magnifique et indispensable analyse de la vie et l'oeuvre de ce sculpteur du baroque brésilien aux oeuvres extraordinaires. Mulâtre dans une sociète coloniale, hideusement détruit et défiguré par une maladie congénitale, "le petit estropié" comme on le nommait en portugais, est un des plus grands artistes du continent américain.




"Peut-être que l'Aleijadinho trouva-t-il dans l'art qui représentait ce Dieu, sa naissance et sa passion, un moyen de célébrer le corps qu'il ne possedait pas tout en exprimant sa colère envers les dieux qui l'avaient fait ce qu'il était [...] et qui se moquaient de cette image divine dans son corps délabré et déformé."



LAVINIA FONTANA ou l'image-connivence





De cette peintre italienne du 16ème siècle, Manguel retient surtout le portrait de Tognina Gonsalvus, l'étrange jeune fille velue qui fascina son époque. C'est l'occasion pour l'auteur de rapprocher deux exemples de marginalité de différent calibre: l'enfant stigmatisée par une anomalie génétique et renvoyée au statut de bête curieuse, et la femme peintre anormale elle-aussi et obsédée par les images et le jugement des autres sur son état et sa production. Laquelle des deux correspond-elle le plus à ces étiquettes facilement collées sur une apparence, une image: l'être asocial, l'originale, la créatrice de visions fantastiques?

Enfin l'étude de Manguel m'a permis de découvrir l'oeuvre de Marianna Gartner, plasticienne américaine contemporaine. Son travail hyper-réaliste et onirique à la fois repose sur des portraits détournés inspirés par de vieilles photographies glânées aux puces, qu'elle transforme en fantasmagories: bébés diables, christs tatoués, fillettes morbides...

je vous renvoie à son site officiel pour mieux apprécier la dimension de celle que Manguel associe à l'image-cauchemar.




http://marianna-gartner.com/2006/girls-with-dead-deer.html

Les chapitres de MANGUEL sur Picasso et Dora Maar, Il Caravaggio et Philoxène entre autres valent aussi le détour, comme dirait l'amateur de labyrinthe qu'il est!

1 commentaire:

St Loup a dit…

Très intéressant! Ça donne vraiment envie de plonger dans ces pages.
:-)