lundi 17 janvier 2011

LE BEAU MARIN DE MELVILLE


"BILLY BUDD, MARIN"... Depuis plus de vingt ans ce livre sommeillait dans ma bibliothèque. Je le découvre enfin et m'extasie sur la puissante réflexion politique et la richesse littéraire qui le constituent. Je reprends ici une synthèse de Demian Peeters pour présenter le roman.


"L'oeuvre se présente comme une fable politique décrivant des relations traversées par un homo-érotisme évident et saturées dans un microcosme masculin. Le récit a pour figure centrale un matelot à la beauté éclatante, enrôlé de force sur un navire de la marine de guerre britannique à l’époque de la Révolution française, qui doit successivement faire face à la haine inexpiable que lui voue Claggart, le maître d’armes chargé de la police de l’équipage, et à la justice inflexible du commandant du navire, le capitaine Vere."


ou encore le trailer du film où Billy Bud est incarné par Terence Stamp au visage d'ange pacificateur... ou exterminateur, selon les rôles!
http://www.youtube.com/watch?v=UgTTV78SmbQ&feature=related



Cette fable tragique pose des questions morales sur la société dans son ensemble, réduite dans le récit au microcosme d'un navire. Le bien, l'innocence, la perversité, la nature et la culture, le problème de la justice... sont autant de thèmes qui dialoguent à travers des personnages allégoriques lesquels s'affrontent selon une fatalité implacable. La beauté et la vertu naturelle sont inéluctablement sacrifiées à l'ordre méchant de la société, de la politique dans laquelle on est "embarqué". Billy Bud, figure expiatoire, incarne un idéal de candeur, force et droiture innées que les agents corrompus de l'autorité et de la doxa vont devoir réprouver, mettre à l'épreuve et éliminer.




Melville fait de ce beau marin dont tout l'équipage et l'humanité semble amoureux, un Christ juvénile et maritime qui expie la faute collective de cette communauté virile et violente. Il n'est pas étonnant que Benjamin Britten ait tiré de ce récit à la très haute intensité érotique et lyrique, un opéra flamboyant et funèbre où le choeur des marins chante la tragédie navale d'un trop beau gabier de misaine.

Sur le plan esthétique et littéraire, Melville offre un récit hybride, "récit interne" comme il le nomme, dans la pure tradition des histoires de marine, répondant aux codes du genre, avec des passages obligés parfois rébarbatifs mais qui donnent à la trame sa couleur locale outre-mer... mais aussi récit sentimental et pathétique traversé de descriptions sensuelles à l'endroit du beau marin qui apportent un contraste troublant dans cette atmosphère de fiers-à-bras. Le non-dit sexuel et l'abandon à une esthétique qu'on qualifierait aujourdh'ui de "queer", étonnent dans ce texte écrit à la fin du dix-neuvième, longtemps tenu caché, et révélé en 1924.



Au-delà des aspects érotiques - inhérents à la communauté virile qui fait l'objet du roman- le récit est une merveille en terme de narratologie: Melville s'y pose en narrateur scrutant l'horizon littéraire de son intrigue, annonçant les manoeuvres et les virées de bord, lâchant les voiles de longs passages techniques ou psychologiques qui donnent à son embarcation de mots une vitesse de croisière bien calculée. A chaque moment, on le voit commenter la progression de son histoire comme un bon capitaine, avec une expertise et une science de vieux loup littéraire.


Toutes ces qualités et bien d'autres encore font de "Billy Budd, marin" une oeuvre, séduisante, alerte, musclée et poignante, chargée d'un trésor de réflexions sur l'homme et la littérature en général.


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