samedi 2 avril 2011

LE JOUR SE LEVE

Je reprends le chemin de l'univers de Marcel Carné et Jacques Prévert dont j'aime le réalisme poétique, les scénarii aux mélodrames mesurés, les images parfaitement photographiées, les acteurs si éblouissants dans leur sincérité qu'ils nous paraissent tous si familiers. Arletty qui est un poème à elle seule, "pas belle, mais vivante" comme elle se décrit en une sublime réplique, sa présence d'éternelle fille du peuple, gouailleuse mais raffinée dans ses sentiments, drôlement dramatique et toujours sur la bréche entre l'humour triste et la mélancolie pétillante. Son visage et ses intonations dans "Le jour se lève" atteignent un niveau d'émotion parfaite. Il faut la contempler quand elle regarde avec des yeux de merlan frit le visage fermé de Jean Gabin, amant de passage et impossible amour.

Tout est dit dans ces yeux-là du bonheur d'aimer et de la fragilité de cet état furtif. C'est bien de cela qu'il est question dans ce film, du désir de voir se lever un jour idéal et pur sur une existence noire de fatigue, de douleurs et de dégoûts. Chacun y cherche sa petite parcelle de bonheur, chacun vient s'abreuver dans les yeux de l'autre de cet espoir d'un amour possible, de quelque chose de propre dans ce monde sans scrupule pour les entichés d'idéal. Evidemment le jour se lèvera avec une aube aussi rose que cruelle, corrompu dans ses premiers éclats, après une nuit obscure et tourmentée qui empeste la mort. C'est en fait une tragédie prolétarienne pour un homme incarcéré, un homme qui a eu le mauvais goût de croire en un rêve d'amour et de bonheur, lui qui n'était qu'un pauvre gars malmené par l'existence et abîmé dans les pires travaux. Il y a toujours quelqu'un pour venir frotter ses souliers crottés sur votre petit lit blanc. Et cela suffit pour commettre son petit crime pas prémédité contre le monde et contre soi.
Un film vraiment bouleversant et parfaitement abouti. Les dialogues de Prévert sont des tours de force de simplicité et profondeur morale. Jean Gabin est au sommet de son art et de sa maîtrise de sa gueule d'amour qui une fois perdue le rendra insupportable, cabot et pesant.
On a dans ce film l'occasion de subir le charme de ce visage de Gavroche qui se mêlait à ceux d'Arletty et de la divine fausse ingénue Jacqueline Laurent.

Le grandiose Jules Berry campe un abominable dresseur de chiens et de demoiselles qui avec ses airs de dandy veule et de bellâtre concupiscent me semble cacher d'autres tendances que Carné adorait crypter dans ses films. Que vient-il faire en fait dans la chambre de Gabin le soir, à le harceler, le provoquer, lui parler de sa jeunesse et de la sympathie qu'il aurait suscitée chez son rival? Il y a là des désirs rampants et refoulés que cachent mal le beau veston blanc, le manteau pied de poule et la lèvre humide de l'intrigant.

Mais laissons ses supputations et contentons-nous de regarder ces plans figés dans notre douce mémoire en noir et blanc...

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